Faire se croiser les voix de la création
Photo : Violaine Bérot, Fondation Jan Michalski © Wiktoria Bosc
Astrid Cathala, Fondation Jan Michalski © Wiktoria Bosc
Violaine Bérot © Stéphane Lessieux
* Soutien accordé dans le cadre du dispositif de compagnonnage d'auteur en librairie inscrit au Contrat de filière Livre 2022-24 coordonné par Occitanie Livre & Lecture et financé par la Drac Occitanie, le Centre national du livre et la Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée.
Astrid Cathala © Stéphane Lessieux
Gil Angelo Gazzoli © Stéphane Lessieux
Violaine Bérot, Fondation Jan Michalski © Wiktoria Bosc
Animer d’une même voix les maillons de la chaîne
Les Voix de Violaine sont nées du désir de rencontres, de colportage de récits, et aussi des liens qui se sont tissés sur le territoire que nous habitons. En librairies (À la lettre à Saint-Girons, Le Cachalot à Foix, Mazette ! à Mazères), en médiathèques (Massat et Samatan), en structures culturelles (la Maison des Écritures de Lombez, le théâtre de Samatan, les Bazis à Sainte-Croix), en lycées (Gabriel Fauré à Foix, Le Couserans à Saint-Girons), et même dans la chapelle de Castillon-en-Couserans, nous avons été accueillis, accompagnés, soutenus, et la toile du maillage a continué de s’étendre. Si cela a réussi, c’est parce que toute cette chaîne s’est mise à parler d’une seule voix. Pour ne citer qu’eux – et parce qu’on ne peut tous les citer – saluons l’énergie, la générosité et le travail d’Élodie Sentenac au lycée du Couserans où Violaine Bérot était accueillie dans le cadre du dispositif « Résidence d’auteur au lycée » du Centre national du livre. La convergence entre cette résidence d’auteur en lycée et notre projet s’est faite tout naturellement. Le travail accompli sur les textes avec professeurs et élèves, l’engagement et le suivi du libraire d’À la lettre, Franck Milesi, la capacité de notre trio à réinventer notre spectacle et à l’adapter au lieu et au public, ont donné à ces Voix… un écrin pour leur résonance. Quelque chose est né, dans sa particularité, dans son unicité, in situ : une expérience partagée, forte, surprenante, 150 élèves, une guitare électrique, une austère salle de conseil de classe, et puis des textes…
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Dans les coulisses de la création
Violaine Bérot : Astrid, comment t’est venue l'idée des Voix de... ?
Astrid Cathala : Les Voix de… me sont venues un peu grâce à toi, Violaine ! Lorsque tu as été invitée dans le cadre des Passagers du livre que je conçois et orchestre pour l’Estive - Scène nationale de Foix et de l’Ariège ! J’avais souhaité, pour ce rendez-vous, mettre en voix et en musique — avec Gil Angelo Gazzoli — une vingtaine de minutes de Comme des bêtes. Nous avions travaillé tous les trois quelques heures alors et nous avions aimé ce moment-là. Apparaissait un espace singulier à la frontière de l’interprétation et de la lecture, du théâtre et du chant. Et l’auteur, vivant, au centre, et son œuvre, vivante, à servir. À la suite de cela, nous avons échangé et tu étais si enthousiaste, si volontaire, si partante, que nous nous sommes lancés dans cette aventure devenue Les Voix de…, accompagnés d'Occitanie Livre & Lecture*.
V. B. : Les Voix de... c’est donc faire entendre l'œuvre d'un auteur, sur scène, en musique, par la voix même de l'auteur ?
A. C. : Oui, un auteur n’est pas un acteur, un acteur n’est pas un auteur et pourtant… Tant de composantes de ces disciplines, de ces savoir-faire, de ces artisanats-là sont communes ou ressemblantes. Je suis une femme de théâtre. Je joue, je mets en scène, je publie, je chante. Je trouve merveilleux de travailler si proche d’un auteur, de donner à entendre sa voix, de façon très simple, sans artifice, d’être au plus près de sa langue et au plus près de son corps. Proposer une direction, une couleur, une interprétation et de concert, avec l’auteur et avec le musicien, déployer une partie de son œuvre.
A. C. : Violaine, comment ça fait, à l’intérieur, de passer d’autrice à interprète ?
V. B. : Ce n’est pas de passer d’autrice à interprète qui est perturbant, parce que je lisais déjà mes textes en public et aussi parce que dès l’écriture je les travaille à voix haute. Ce qui est étrange, c’est de me retrouver décalée dans ma lecture par la mise en scène. J’étais à la fois l’autrice du texte et une interprète de ce même texte, et cette interprétation n’était pas celle que j’aurais faite comme autrice...
A. C. : Et être trois en scène, en acte, plutôt que seule à sa table comme d’habitude ?
V. B. : Dans l’acte d’écrire, j’ai l’habitude d’être seule. En public, il m’arrive d’être accompagnée (par un metteur en scène en amont des lectures, par un autre auteur pour des lectures croisées). Notre spectacle à trois a évolué au fil des représentations. Je me souviens vous avoir demandé, à Gil et toi, de vous tenir plus proches de moi suite à quelques représentations où j’étais positionnée seule au milieu des spectateurs et vous derrière eux. J’avais vraiment besoin de sentir que nous formions un trio. Que les trois ne faisaient plus qu’un.
A. C. : Comment ça a résonné en toi, d’écrire ces voix à partir de ton écriture ?
V. B. : Je n’emploierais pas le mot « écrire » pour ce que nous avons fait. Le texte écrit existait déjà. C’était notre matériau. Nous avons interprété des voix déjà écrites. Le spectacle ajoute ceci au texte qu’il en donne une interprétation. Ce qui a vraiment résonné très fort en moi, ça a été nos premiers temps de travail ensemble.
A. C. : Comment as-tu vécu cette mise en abîme de toi et de ses multiples toi ?
V. B. : Pas du tout comme une mise en abîme ! Cette expérience m’a surtout appris que comédienne est un autre métier que le mien ! Depuis, je travaille mes lectures avec des professionnels de la scène, et ça m’enchante.
V. B. : Quels sont tes projets pour les autres Voix de… ?
A. C. : Une année, un auteur ! Le prochain Voix de… sera celui de Jean Reinert, dramaturge, écrivain, penseur, trop méconnu. Alors on repart à nouveau en trio, avec Jean, Gil et moi ! Représentations en cours de programmation. Nous irons dans l’Hérault, dans le Gard…
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Impulser une dynamique partenariale
Lorsque Élodie Sentenac, professeure de français au lycée du Couserans à Saint-Girons et Violaine Bérot nous ont proposé de participer au dispositif de compagnonnage d'auteur en librairie1, nous avons tout de suite accepté. Au départ, parce que c'était Violaine et que nous soutenons son travail inconditionnellement (elle est d’ailleurs la marraine de la librairie depuis la fin de l’été 2023). Habituellement, il s'agit de porter son travail sur les mots – nous vendons ses livres – , mais participer à un projet associant ses textes à des jeunes et une compagnie de théâtre était tentant. Nous avons accepté par curiosité et envie d'affiner notre connaissance du public adolescent.
Nous ne sommes coutumiers ni des actions culturelles, ni des projets avec les scolaires, par manque de temps et manque de savoir-faire. Grâce à ce dispositif, ces deux aspects sont pris en charge, les risques sont partagés, l’appui est donc confortable. Travailler en partenariat permet aussi de nous faire connaître, de prendre conscience de nos spécificités, de nos atouts et de nous inscrire dans une offre culturelle de territoire.
La représentation au lycée était plus que réussie. Le texte gagnait en puissance à l'oral, les jeunes étaient conquis ou du moins ébranlés et les débats intéressants. On peut dire que cette expérience a rendu désirables et concrets d'autres projets en partenariat avec le lycée. Nous prévoyons ainsi pour l'automne 2023 une rencontre entre une illustratrice de BD et une classe.
Franck Milesi, Librairie À la lettre, Saint-Girons