L'enfant de la Matrie
Je vivais dans la lune entre Corbières et Canigou. Nous étions une famille toute neuve. Elle avait laissé son histoire et ses morts en Espagne et en Italie. Chez nous, c'était ici, en ce lieu sans ancêtres, sans poilu de 14-18, sans terre ni maison en héritage. Et moi au milieu, tout petit, j'étais enveloppé de jeunesse.
Mon grand-père, quand il chantait « Valencia » en arrosant le jardin, ou quand il revenait des vignes à midi, entouré de ses deux grands fils, semblait hors de portée des atteintes du temps.
La ferme de mes vacances s'appelait Matrie. Auprès de mes oncles, pendant la moisson, tenant la bride des chevaux, je pressentais l'homme que j'avais hâte de devenir. Un petit garçon rêve d'être grand mais il voudrait aussi que rien ne change autour de lui.
Un jour, j'ai appris que l'histoire de mes proches écrivait la mienne. Leurs pas conduisaient à moi et sont toujours dans les miens.
C'était comme si j'avais touché terre.
Moi, l'enfant de cette matrie.