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Biographie :
Jacques Maigne, né en 1951 à Toulouse, vit à Nîmes depuis 1977.
Diplômé du CFJ (Centre de formation des journalistes, rue du Louvre, Paris), promotion 1975, a débuté au quotidien marseillais "Le Provençal" (1975-1976), puis à "Sud", hebdomadaire du Languedoc-Roussillon (1976-1980), pionnier à l’époque des journaux régionaux indépendants.
Ancien correspondant permanent dans le sud-est (basé à Marseille, de 80 à 86) puis reporter au service étranger du quotidien "Libération" (de 86 à 95), pour la couverture, entre autres, du Proche-Orient.
Passionné par la Méditerranée, Espagne en tête, l’Amérique Latine, le rugby, la mer, la tauromachie, la gastronomie, la musique populaire (dont le flamenco), il a publié une dizaine d’ouvrages (dont de nombreux "beaux livres") sur ses thèmes de prédilection...
Actuellement journaliste et auteur audiovisuel indépendant.
Il a collaboré à l’adaptation des scénarios des films de Tony Gatlif, "Gadjo Dilo" (1998) et "Exils" (2004) ; écrit douze documentaires dont trois qu’il a réalisé.
Il a également été scénariste de la série "chasseurs d’ouragans", diffusé sur Arte en décembre 2000.
Il est aussi co-fondateur de la revue "In Vino", carnet de voyage "au pays des mille vignes" et des vignerons, revue lancée en décembre 2001.
Enfin, il est chargé de cours à l’IEJ Marseille (Institut Européen du Journalisme) depuis octobre 2010.
Bibliographie non exhaustive :
Vigne saga : Embres & Castelmaure, photographies Bruno Doan, éd. Atelier Baie, 2017 (beau livre).
Portrait de Nîmes, éd. Atelier Baie, 2015 (beau livre).
Flamenco toros y olé : arte, cono !, coauteur Jacques Durand, éd. Atelier Baie, 2015 (beau livre).
In vino, n° 9 : Voyage dans le Jura, coauteurs Alain Bosc et Bruno Doan, éd. Atelier Baie, 2015 (beau livre).
Camargue plein ciel, texte Jacques Maigne, photographies Stéphane Barbier, Alain Colombaud, éd. Au diable Vauvert, 2013 (beau livre).
Flamenco en flammes / Flamenco en llamas, texte Jacques Maigne, avec Patrick Bellito et Pepe Linares, photographies Stéphane Barbier, Jean-Louis Duzert, Derek Hudson (collectif), traduit par José Miguel Gonzales Marcén, éd. Atelier Baie, 2009 (beau livre).
Conversations avec Claude Viallat : ponctuées par des textes de l’artiste, texte Jacques Maigne, photographies Derek Hudson, éd. Atelier Baie, 2009 (beau livre).
Cerdan intime, auteurs Maurice Rouff, Franck Roubaud-Abad, avec la collaboration de Jacques Maigne, éd. Textuel, 2009 (biographie).
Site du pont du Gard : chroniques d’un aménagement, sous la direction de Véronique Muse, coauteur Francis Zamponi, éd. Somogy, 2008 (beau livre).
Voir grand : panorama des grands sites, coauteur Kenneth White, éd. Actes sud, 2007 (voyage).
Le vin au fil de l’eau : les fleuves et leurs vignobles, texte Jacques Maigne, photographies Patrick Cronenberger, éd. Aubanel, 2007 (viticulture).
18, pompiers, photographies Jean-Daniel Guillou, texte Jacques Maigne, éd. Arléa, 2005 (beau livre).
De guarrigues en Costières : paysages de Nîmes Métropole, photographies Gille Martin-Raget, texte Jacques Maigne, éd. Actes sud, 2005 (beau livre).
Guide des caves coopératives, coauteur Alain Bradfer, éd. Hachette pratique, 2004 (guide).
Toros, texte Jacques Maigne, photographies Philippe Becquelin, éd. Fitway, 2004 (beau livre).
Secrets de gardians, photographies Gilles Martin-Raget, texte Jacques Maigne, éd. Actes sud, 2002 (beau livre).
A côté des taureaux, texte Jacques Maigne, photographies Michel Dieuzaide, éd. Climats, 1992 (document).
Guadalquivir, coauteur Jacques Durand, photographies Michel Dieuzaide, éd. Seghers, 1990 (voyage).
L’habit de lumière : voyage en tauromachie, coauteur Jacques Durand, éd. Ramsay, 1985 (document).
Extrait :
Prince Noir
Patrick Espagnet a été retrouvé mort le 18 janvier 2004 dans le petit appartement où il vivait seul, à deux pas de la place de la Victoire, au centre de Bordeaux. Il n’avait pas encore 54 ans, il s’était replié sur l’écriture comme on s’agrippe à une bouée. Patrick avait des projets, des manuscrits en vrac dans ses tiroirs et des envies de romans, une soif jamais éteinte de littérature, la seule, depuis l’enfance, qui ne l’ait jamais trahie.
Soif, justement. L’alcool comme une fièvre, comme une brûlure, comme une fascination. Mais aussi l’alcool comme passerelle, comme lien d’humanité, comme fenêtre ouverte sur les éclats du monde. L’alcool a eu le dernier mot, c’était couru d’avance, mais, dans le fond, il a bon dos.
Patrick Espagnet avait d’abord mal à l’âme, mal au cœur face aux petitesses, aux hypocrisies, aux ambitions, aux lâchetés de tous ces adultes croisés ici ou là, si souvent décevants. Patrick était un idéaliste, un vrai de vrai, un de ces humanistes humbles et exigeants qui s’interdisent une fois pour toutes la bassesse, la compromission. Il aimait spontanément les petites gens, les anonymes, les paumés, les marginaux, les putes, les ivrognes, les forts-en-gueule, les sans avenir ou les sans grade, tous ces humains de rien, mais dignes et debout, qui lui ressemblaient comme des frères, comme des sœurs. Et il ne mâchait pas ses mots, ses vrais complices, pour le faire savoir haut et fort. Que ça déplaise ou pas…
Lui, il n’a jamais rien renié, jamais perdu ses illusions ou ses rêves de gosse, ses repères ou ses émotions brutes, et c’est sûrement cela qui l’a perdu, bien plus que tous ces verres déquillés avec une énergie féroce. Espagnet était enfant de Grignols, un gros bourg de Gironde, dans ce Bazadais célèbre pour sa viande, pas très loin de Langon, et il était resté fidèlement, passionnément lié à sa culture gasconne. Gascon pur sucre, oui, célèbre « talon » (talonneur) de l’équipe locale de rugby, le sport qu’il célébra avec tant de verve, mais aussi féru de tout ce qui fait l’art de vivre ou de vibrer des indiens d’Aquitaine. La table, le vin, l’amitié, la chasse à la palombe, les stades de campagne, les fêtes de Dax, de Vic, de Bayonne, de Pampelune, là où il a croisé « l’oeil des noirs, cloaque du mystère ». Etudiant à Bordeaux, petit villageois passionné de poésie et de jazz, pris par le souffle de mai 68 mais sourd aux sirènes militantes, il glande en fac de droit puis de lettres, révèle surtout ses talents de « festaire » et écume les nuits bordelaises. Journaliste ? Pourquoi pas… Il suit les cours de l’IUT de Bordeaux fondé par Robert Escarpit, ancienne gloire du Monde et puis entre par la petite porte, simple pigiste sportif, au journal Sud Ouest. Il a un talent fou, une liberté de ton et même une ironie souvent cinglante qui détonent dans cet univers du journalisme sportif plutôt conformiste. Mais Sud Ouest sait reconnaître ses qualités, quelques collègues l’admirent, le respectent et il trouve peu à peu sa place, son rang, devient un des chroniqueurs les plus incisifs de la planète rugby. Ceux qui le connaissent peu et le croisent dans les travées des stades ou au cours de mémorables troisièmes mi-temps le prennent pour un dilettante, un joyeux drille, un tchatcheur enflammé et drôle, un soiffard de haut-vol. Et tout cela est vrai. Mais Patrick, en fait, se dissimule ou plutôt donne le change. Dans ces bouillonnements de fêtes, de matchs ou de corridas épiques, dans ces fièvres de papiers gribouillés à la hâte (toujours à la main) et dictés avec retard, il y a aussi, d’abord, la solitude, l’angoisse, le désenchantement. La souffrance. Patrick Espagnet est trop lucide, trop écorché, trop assoiffé de liberté, de justice, d’amour. Alors, il boit. Et lorsqu’il ne boit pas, il écrit. Ses articles, bien sûr. Mais aussi des textes plus personnels, des nouvelles, des poèmes, des mots venus de loin, de profond, comme on jette des bouteilles à la mer, comme des cris trop longtemps étouffés.
Tous ces textes, sur les taureaux, sur le rugby, sur les femmes, sa trilogie intime, ont été publiés de son vivant et peu de temps avant sa mort. Accueil poli. Et pour cause. On pensait que l’ancien talon de Grignols, devenu journaliste renommé, se bornerait à célébrer gentiment les cultes du terroir, avec de jolis effets de style, ou quelques bons mots. On était même prêt à convoquer à ses côtés des écrivains renommés, comme Marcel Aymé ou Blondin (frère de comptoir). Mais Céline, non, cela, personne ne s’y attendait, personne, dans le fond, ne l’acceptait. Alors, lui il a repris sa route, entre bars et feuille blanche, la route en pente raide et plus rien ne pouvait l’en détourner. Même pas cette coupe du Monde de rugby en Afrique du Sud (1995) qu’il vécut comme un skipper solitaire, ballotté entre tempêtes et grandes éclaircies lumineuses. L’alcool avait la main de plus en plus lourde. Son exclusion du journal Sud Ouest, sa seule famille, l’avait un peu plus meurtri. Il lui restait l’écriture. Les mots qui vibrent, les mots qui tremblent, les mots qui vivent, les mots qui restent. Voilà, depuis son départ, on a fini par retrouver le son de sa voix et on lui a fait, à titre posthume, un costard d’écrivain. On a même posé une plaque à son nom sur le tronc d’un peuplier du stade de Bègles en hommage à un de ses modestes textes éblouissants. Je l’entends d’ici hurler de rire, jurer en occitan de sa voix rocaille, œil d’épagneul, moustache en broussaille et verre au contact, comme il se doit. Mais c’est encore une feinte, un contre-pied à la Boni. Un ultime pied-de-nez ou plutôt un bras d’honneur. Dans le fond, il est fier comme Artaban, l’ancien talon de Grignols, heureux comme un cadet fêté après son premier essai, comblé comme un torero adulé par le public volage de la Maestranza sévillane. Pas dupe, l’Espagnet, non, aujourd’hui moins que jamais. Mais enfin aux anges. Apaisé.
« Ainsi il aimait la fin de « My favourite things » quand Coltrane se calmait enfin. Une sorte d’apaisement nostalgique, rêveur et un peu désespéré. Il aimait ça avec le même plaisir que donne une fin d’automne. Quand la pluie fine hâche la rue, quand le gravier percole avec des bruits de ruisseau, quand les corbeaux ne sont plus les seuls noirs du ciel »…
Noir comme le boxeur. Noir comme le toro. Noir comme le deuil semé par les All Blacks.
Noir comme ta nuit, maestro…
Jacques Maigne (janvier 2007)
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